14 février 2008

J+117-123 / Le Roi et les touristes

Toujours en compagnie de Carmen et Roger, retour à Antsirabe après 24 heures de minibus et un finish de nuit sous forme de course de pousse-pousse jusque chez Billy. Nous retrouvons nos petites habitudes, la grisaille du ciel et la quiétude de cette ancienne cité coloniale fondée par des missionnaires norvégiens. Cette fois nous décidons de profiter de la ville et de ses charmes un peu surannés. Le lendemain de notre retour Billy nous propose une promenade dans le village de sa famille et de nous rendre au tombeau d´un de ses ancêtres, l´ancien roi du village au début du siècle. Les filles partent faire quelques courses au marché et nous prenons la route. Billy gare le 4x4 plus tôt que prévu car une partie du chemin s´est écroulée à cause des pluies. Nous sommes au pied de la montagne, nous devons encore trouver le sage du village qui nous guidera jusqu´au tombeau ; nous espérons le rencontrer sinon nous ne pourrons pas nous rendre au tombeau, seul le sage est habilité à autoriser des étrangers et qui que ce soit d´autres à s´y rendre. La culture malgache est pleine de coutumes, de traditions et d´interdits : les fadhis. Une demi-heure de marche plus tard nous découvrons le village, nous y achetons du rhum et trouvons la maison du sage. Il n´est pas là mais nous rejoindra en route. Quelques minutes plus tard à la sortie du village un vieux bonhomme tout sec et très alerte nous rejoint, le sage. Entre temps Billy nous a expliqué le rôle qu´il joue dans le village. Par sa science des étoiles il choisit les dates importantes qui ponctuent la vie de la communauté, comme la date précise du retournement des morts (1), qui est un moment très important dans la vie sociale malgache. C´est lui qui officie pour les prières sur le tombeau des ancêtres, c´est pour cette raison que nous avons acheté du rhum car cette divine boisson est un élément majeur de la prière que donnera le sage sur le tombeau. La collation de rhum pour les ancêtres est important et ne pas l´offrir serait comme cracher sur sa tombe ! En chemin le sage nous montre les vestiges du château royal, surtout n´imaginez pas un donjon avec des remparts, pont-levis ou tout autres attributs des bâtisses que nous pouvons trouver en Europe. De celui qui nous est donné de voir il ne reste qu´une douve, un muret de terre et une entrée de souterrain. Chaque village possède un roi, qui partage avec le sage et le prêtre l´autorité sur l´ensemble de la communauté. Aujourd´hui avec les agglomérations de plus en plus grandes, ces autorités ancestrales deviennent de plus en plus rares.
Le chemin devient de plus en plus pentu, mais le ciel bleu et les paroles du sage nous aident à gravir sans problème le versant de cette montagne sacré. Enfin nous arrivons au sommet, le sage prend la bouteille de rhum que lui tend Billy et se rend sur le vaste tombeau du dernier roi de la région qui régnât sur le village jusqu´au début du siècle dernier. Il asperge copieusement les quatre coins puis la tête du tombeau, les ancêtres avaient sacrément soif. Quand vient notre tour la moitié de la bouteille de rhum y est passée. Les nuages commencent à s´amonceler et précipitent notre retour, juste le temps de finir ce que les ancêtres avaient commencé et de profiter de cette lumière magique qu´offre le soleil quand l´orage arrive. A peine nous fermons la portière du 4x4 que la pluie commence à tomber.
Retour à l´hôtel nous nous préparons à passer une dernière soirée avec nos amis suisses qui prennent la route demain pour le sud. Au programme une bonne bouffe, de la THB, du rhum arrangé et un poker avec les billets de pacotilles que nous avons gardé d´Ethiopie et de Madagascar. Ce sera la banque suisse qui gagnera. Deux jours plus tard c'est notre tour de quitter la ville thermale sans avoir pu jouer au casino. Nos sacs sont prêts et nous attendons un peu et discutons avec Billy et son père qui est là pour déjeuner chez son fiston. Son père comme tous les mois doit aller faire la queue avec une centaine d´autres personnes au Trésor Public pour recevoir sa maigre retraite d´instituteur – 70 euros soit 160 000 ariary, et il faut 10 000 ariary par jour pour survivre à Madagascar – le paiement se fait en liquide car la plupart des malgaches ne possèdent pas de compte bancaire, trop pauvres pour les banques - d´ailleurs elles ne se privent pas pour exploiter leur misère, le taux d´emprunt le plus intéressant est le micro crédit qui tourne autour de 20% d´intérêt, les autres taux d´emprunt pour des crédits "normaux" sont de l´ordre de 30%, sans commentaire – heureusement que Billy et Caroline sont là pour les aider financièrement lui et sa femme à vivre et non pas à survivre. Le repas finit le père de Billy retourne faire le queue devant le Trésor Public, quand à nous, nous faisons nos adieux avec la promesse de se revoir un de ces quatre et nous embarquons sur les pousse-pousses toujours à l´affût du client.
Quatre heures plus tard, après avoir profité une dernière fois des paysages et de la pluie malgache nous arrivons à la capitale. A la gare nous attrapons un taxi 2CV qui nous dépose au Jean Laborde, notre hôtel. Nous y ferons connaissance avec un des revendeurs de pierres précieuses qui viennent souvent dans cet hôtel pour écouler leurs marchandises auprès des lapidaires de Tana. Nous passons saluer l´un des oncles de Dinh avec qui nous discutons politique sur un bout de trottoir, et nous comprenons que la tension et les rancoeurs montent dans le pays. Le lendemain nous déjeunons avec le Général et sa femme qui nous déposeront à l´aéroport. Une heure plus tard, l´avion décolle direction Johannesburg et nous voyons Madagascar s´effacer sous les nuages.

(1) Quand le sage en donne le signal, le clan familial décide de commencer la cérémonie dite du retournement des morts. Exhumé deux ou trois ans après le décès, le défunt momifié est d'abord porté en procession avec un cortège de musiciens. Puis les ossements, après une toilette rituelle, sont enveloppés dans des linceuls blancs. La fête marque le retour définitif des ancêtres parmi leurs descendants dont ils deviendront les protecteurs. (Source Wikipedia) - Cette céromonie a lieu tous les cinq à sept ans.